Mes billets d'humeur

Une étonnante rencontre

novembre 2024       

 

Je vous ai précédemment parlé du salon d'Orléans où nous avons été, il faut le dire, très appréciés par nombre de ferroviphiles.

Les échanges ont été fructueux dans les deux sens. C'est le grand intérêt des expositions où nous livrons nos secrets de fabrication et, au contraire, où nous recevons des conseils et des astuces. C'est tantôt pour améliorer, tantôt pour corriger notre décor et quelquefois éviter des erreurs, des anachronismes. Il me vient en tête, par exemple, ce monsieur, ancien menuisier, qui me fit remarquer que mes Z étaient à l'envers sur certains volets. Je ne manquerai pas de les corriger dans la mesure du possible.

Beaucoup se sont renseignés sur la nature de mes bâtiments, sur la peinture que j'employais. D'autres sur la façon de faire le bitume dans les rues de mon village et quand je leur répondais que c'était le dos d'une toile cirée, peinte par la suite, ils n'en revenaient pas. Le fond de décor aussi soulève bien des interrogations, certains même découvraient ce qu'était le zeechium pour fabriquer les arbres et quelle méthode employer pour le feuillage. Toutes les astuces sont bonnes à prendre, à donner ou à recevoir. Le modélisme dans sa totalité, que ce soit le décor ou la technique, est un ensemble de trouvailles avec une dose d'ingéniosité si petite soit-elle.

 

Et puis samedi après-midi voilà un jeune homme, entre 25 et 30 ans, propre sur lui comme on dit, pas de casquette à l'envers, pas de t-shirt imprimé à la mode « m'as-tu vu », pas de jeans troués, non un simple jeune homme à l'allure classique qui s'arrête devant notre diorama, et après l'avoir détaillé très longuement, très méthodiquement, nous déclare : - vous avez représenté très exactement ce que me racontaient mes grands-parents.

Evidemment ça nous interpelle et nous entamons la conversation avec lui, Eliane et moi. Une très longue conversation agréable et surprenante où il nous déclare sans détour : - je suis mal dans mon époque, je vis mal ma jeunesse, j'aurais tellement aimé vivre mon enfance identique à celle de mes grands-parents. Le village que vous représentez respire la tranquillité, le plaisir de vivre, le savoir-vivre et je sens bien que ça me manque.

Que répondre à cela, il avait l'air tellement désabusé !

On ne cherche pas à revaloriser le 21e siècle à ses yeux mais au contraire à lui décrire notre jeunesse telle qu'elle était : plus stricte et plus rigoureuse que maintenant.

Il y avait un prix à payer pour mériter cette quiétude et ce bien-être apparent qu'il nous enviait.

On lui explique que la jeunesse actuelle ne serait peut-être pas, ou sûrement pas, prête à accepter toutes les contraintes que nous avons dû subir sans sourciller pour autant : c'était normal, on était tous, plus ou moins, logés à la même enseigne. Inutile de se rebeller, on n'y pensait pas. Notre éducation ne nous l'aurait pas permis.

Bien sûr nous ne lui avons pas caché les gifles, les claques sur les fesses, les coups de règle, les punitions, les « privé de dessert », les 100 lignes et autres procédés ayant pour but d'apprendre, dès le plus jeune âge, à accepter ces principes de base d'un savoir-vivre ensemble : se sentir bien parmi les autres. On lui a fait comprendre que la discipline était rude, intransigeante et non négociable. Nous avions tous le même code et encore maintenant j'ai rarement rencontré des gens de notre âge qui s'en plaignaient vraiment. Nous laisserons les abus de côté, car il y en avait, nous en sommes conscients, mais devait-on tout lâcher pour autant ?

Il n'en démord pas, il aurait préféré connaître cette rudesse des années 50-60 plutôt que subir ce relâchement, cette pagaille, cette loi de la jungle (ce sont ses mots) qui le traumatisent au quotidien.

Il voulait plus de détails afin de pouvoir compléter, ou comparer avec les dire de ses grands-parents. Eliane a commencé avec ses souvenirs d'enfance à la ferme, un bordage plus exactement, avec deux vaches, des poules, des lapins, un cochon. Deux kilomètres la séparaient de l'école où elle se rendait le plus souvent à pieds. A certaines occasions son père l'emmenait dans la carriole attelée à l'ânesse. Cette dernière aidait aux travaux des champs et parfois dans les fêtes de villages.

Notre visiteur était étonné de constater ce décalage de vie d'à peine soixante ans.

Moi, je lui racontais ma vie de petit parisien, les « fortifs » traversés à pieds pour rejoindre l'école, les culottes courtes, les grosses chaussettes tricotées pour affronter l'hiver, le goûter avec tranche de pain et carré de chocolat noir.

Je ne me souviens pas en avoir été malheureux. Toutes ces situations ont façonné notre jeunesse et nous ont préparé aux aléas de la vie. Pleurnicher ne faisait pas vraiment partie de notre vocabulaire.

Nous constatons d'expo en expo que tous les gens de notre génération ont cette unanime réaction : nous remercions nos parents de nous avoir offert cette éducation.

Le jeune homme repartit pour un temps réconforté, persuadé qu'il lui fallait trouver cette simplicité salvatrice en faisant fi de tout ce qui pouvait l'entourer et le déranger.

N'est-ce pas là, nous aussi, notre façon d'affronter ce monde que l'on dit fou !

 

Un grand salon en demi-teinte

octobre 2024       

 

Il y a 10-15 ans, je me souviens qu'on se plaignait qu'au plus grand salon de modélisme ferroviaire français à Orléans, les allées étaient trop étroites. Parfois, devant les réseaux, on y trouvait trois rangs de visiteurs agglutinés, sacs à dos sur le dos. Il fallait attendre son tour pour admirer le travail des modélistes.

Mais l'effervescence était là : c'était la grand-messe, la grande communion. Une seule chose nous réunissait : le train, le petit, le plus grand, celui qui crachait de la fumée. Le rendez-vous était incontournable, on y venait des quatre coins de la France. Les visiteurs affirmaient avec plaisir être allés au salon d'Orléans, quant aux exposants c'était une fierté non dissimulée : « moi j'ai fait Orléans ! ».

Et je me souviens que tous les ans on était surpris d'y trouver des réseaux d'exception. Il fut même une époque où l'exposant se devait de soigner l'installation de son stand par respect pour le public et du lieu qui l'accueillait.

Hélas, hélas, dans les dernières années on sentait déjà la fin venir quand on passait devant un réseau encore en construction, pire encore quand les tissus étaient grossièrement agrafés, voire absents.

Du temple du petit train nous passions inexorablement à l'expo tout court. Nous nous enfoncions tout doucement vers une banalité qui n'attirait plus ni le Pyrénéen ni l'Alsacien, ni le Breton ou le Méditerranéen.

 

Depuis le temps que j'espérais exposer mon vieux Trinville à Orléans, après deux refus, c'est en mars dernier que j'ai eu le plaisir d'être accepté avec mon nouveau Trinbourg. Une consécration, me dis-je ! Et puis finalement on se retrouve en pays connu : très peu de nouveautés. Les visiteurs fidèles et habitués savent nous le dire : où sont les réseaux d'exception d'antan. Un de mes amis me disait : « on est content, on a vu du train, mais nous recherchions la surprise ! ».

Je comprends bien qu'un club ne puisse pas produire un nouveau réseau tous les ans ; c'est beaucoup de travail, du temps passé et il faut dire que les cheveux blancs fatiguent plus vite au fil des ans !

Alors est-ce une solution que de vouloir nous associer à des disciplines qui nous sont étrangères ?

J'ai très souvent participé à des salons pluridisciplinaires. Tantôt le train était minoritaire ou vice versa il englobait d'autres disciplines. Le mariage n'était jamais équitable mais tout le monde y trouvait son compte : les intrus étaient toujours bien acceptés. J'en ai fait l'expérience au salon du maquettisme d'Argentan où nous n'étions que deux à présenter du train. Le public nous a élu premier de la classe toutes disciplines confondues !

Ici, à Orléans, le salon était franchement divisé en deux par une très large allée créant ainsi une barrière virtuelle. Certes les visiteurs allaient d'un bloc à l'autre mais on sentait bien que l'intégration n'était pas facile.

Le vendredi et le samedi la partie ferroviaire fut envahie par le public. On avance dans sa globalité 4000 entrées le premier jour et 8500 pour le deuxième. Le total de 20000 a-t-il été atteint pour les trois jours ?

Nous avons eu de très intéressants contacts, proportionnellement plus nombreux que sur les autres salons. Par contre, le dimanche, jour de sortie des familles, nos allées étaient clairsemées, parfois on s'ennuyait... Les wargames, Playmobil, RC et autres loisirs actuels retenaient l'attention des enfants, pour lesquels le « petit train » n'avait aucun intérêt. On ne peut pas blâmer les organisateurs ; pour couvrir leurs frais (effarants, je suppose) il leur fallait faire un très grand nombre d'entrée. Les ferrovipathes n'auraient pas suffi.

Alors la question se pose : qui va se lasser le premier ? Les gens du train ou les autres. L'année prochaine il faudra renouveler les réseaux : pas facile !

 

En tout cas pour ne pas noircir le tableau, j'ai trouvé ce salon très bien organisé dans un bâtiment de 16000 mètres carrés, très spacieux et bien distribué, aux lignes modernes et esthétiques. On a découvert un service d'ordre interne efficace, n'en déplaise aux indisciplinés, un service de nettoyage omniprésent (blocs sanitaires toujours impeccables et en grand nombre) avec des coups de balais dans les allées de temps à autres, des plateaux-repas intelligents où l'on pouvait prendre par exemple deux barquettes-entrées si on ne désirait pas de viande (on évite le gaspillage), une salle à manger incorporée dans les halls et le droit de manger sur nos stands.

Une seule ombre au tableau : les stands n'étaient pas numérotés ce qui aurait permis au public de mieux se repérer.

Voilà une petite chose à corriger et globalement je tire mon chapeau pour avoir aussi bien réussi un salon qui renaît de ses cendres.

On attend bien sûr celui de l'année prochaine.

 

Vous êtes beaucoup comme moi à penser que notre hobby risque de disparaître dans les décennies à venir.

Sur tous les salons on en parle, on s'inquiète.

On y rencontre beaucoup de clubs où les anciens sont très présents. Les jeunes se font rares.

Les réseaux individuels, en général plus petits et on comprend pourquoi, trouvent leur place dans nos salons. Ils y sont appréciés. Les maquettes sont parfois plus originales, moins ferroviaires peut-être, moins conventionnelles mais prouvent aux visiteurs qu'on peut faire du train sur peu de place. Il n'est pas impératif de condamner une pièce pour s'amuser.

Encore faut-il pousser nos visiteurs à adopter ce processus et plus encore à venir exposer. Il arrivera un jour où les réseaux viendront à manquer, petits ou grands : alors, plus de salon, que du train chez soi ?

Je ne blâme pas, soyez-en sûrs, tous ceux, et ils sont nombreux, qui ont amoureusement années après années construit leur réseau souvent plus abouti que les nôtres a fortiori amovibles.

Enfin pour conclure cette brève analyse, il faudrait l'aide des médias pour faire redécouvrir ce jeu pour adultes par excellence : un petit reportage ici et là à la télé, sur les journaux quand il s'agit de faire un compte-rendu d'expo ou mieux encore un bon article dans un magazine autre que LR et Cie.

Une pléiade de célébrités, ferrovipathes comme nous, devraient pouvoir nous y aider. Allez, faites jouer vos relations !!!

 

Le train réel a du plomb dans l'aile, il ne faut pas que le petit prenne le même chemin...

On se mobilise !!!